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25
Fév
09

le futur à coups de griffes

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Généralement, c’est l’occident qui vient pomper inspiration et licences à la culture japonaise. Alors quand un des artistes de l’avant-garde du manga revisite un monstre sacré du comics américain, on est sûr de tomber sur une oeuvre originale et digne d’intérêt. Véritable déclaration d’amour au héro velu et ovni graphique sans précédant, le Wolverine: Snikt! de Tsutomu Nihei est un stand alone comme on aimerait en voir plus souvent dans nos librairies.

L’univers de Tsutomu Nihei est à la fois cohérent et multiforme, puisqu’il le développe dans chacune de ses oeuvres, mais chaque fois d’une façon différente. Snikt! n’échappe pas à la règle, et l’auteur n’hésite pas à transposer Logan dans son cauchemar urbain. Les petits malins repèreront des références à Blame! (dont une notable apparition de Killy), au glauquissime Testuo, à Matrix (les écrans, les tunnels de navigations…), aux BD d’Enki Bilal ou encore au Dune de David Lynch (les bad guy me font toujours un peu penser aux Harkonnen).

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Techniquement irréprochable, même si les plus exigeants maugréeront que la colorisation est trop américaine et ne correspond pas tout à fait à l’univers blafard et morbide de Nihei, ce Snikt! est un véritable art book. Chaque page éblouit le lecteur et l’on se perd volontiers dans la contemplation des planches. On n’a pas finit de s’ébaudir devant la finesse du style de ce jeune dessinateur.

Comme d’habitude avec le très sobre Tsutomu Nihei, le pitch tient en peu de lignes : Wolverine est contacté par une gamine qui, aussitôt après lui avoir demandé d’aider les siens, le « transfert » à son époque, en 2058. Une fois là-bas, il doit combattre une horde de bestioles mutantes dont le dessinateur a le secret. Probablement suite à la demande de Marvel, le chapitre 3 (sur les 5 qui constitue Snikt!) vient éclaircir un peu tout ça, mais on s’en serai franchement passé, comme on s’en passe durant les 10 tomes de Blame!. Dans les œuvres de Tsutomu Nihei, le contenu n’est pas dans le script. Ce qui est intéressant, c’est la vision du futur qu’il nous communique.

Le mangaka ne nous prévoit clairement pas un avenir radieu. Terre ravagée, appauvrie, couverte de bâtiments gigantesques plus ou moins en ruine, peuplée de saloperies en tous genre, d’IA détraquées et de quelques humains apeurés réunis en tribus : pas de quoi fantasmer. Chez Tsutomu Nihei, ancien étudiant en architecture, l’environnement est encore davantage qu’un personnage, c’est le vecteur privilégié par lequel il nous fait passer tout ce qu’il a à dire. Des pages entières montrent ses personnages évoluer entre différents niveaux, escalader des tuyaux titanesques, des escaliers escheriens, découvrir de nouveaux passages et de nouvelles tribues. Il conçoit sa métropole comme un labyrinthe et les péripéties de ses personnages comme une immense métaphore.
snikt8L’absurdité et l’implacable ironie des situations qui piègent les protagonistes nous renvoient aux thèmes de la SF la plus dure. L’humanité se retrouve mise en danger par les solutions technologiques qu’elle avait elle-même mise en oeuvre. Dans Snikt!, les ennemis (les Mandate) sont les fruits d’une bactérie créée afin de digérer les déchets, et qui finit par prendre possession de corps humains en les infectants.

Les bastons sont l’affaire de fractions de secondes et font donc preuve d’une rare nervosité. La vivacité du trait et l’inventivité des plans donnent une vision glaciale et furieuse de ces combats du futur. Le bestiaire y est pour beaucoup, puisqu’ici les mandate évoluent et mutent en permanence, contrairement à une humanité « figée » dans ses gênes. En assimilant des composants extérieurs, les corps de ces post-terminators peuvent varier à la fois en taille et en armements, ou même se faire pousser des ailes. Le « boss » que devra anéantir Wolverine fait d’ailleurs plusieurs centaines de mètres de haut, et notre héros ira jusqu’à se perdre dans ses entrailles.

Face à ces créatures, l’humanité apparaît comme un reliquat de l’ancien monde, des êtres primitifs et effrayés qui survivent in extrémis dans un dédale urbain où tout leur est hostile. Perdu au milieu d’immenses perspectives, l’homme n’a plus de place et s’efforce de s’adapter à un environnement qu’il a créé et fonctionne désormais sans lui. L’horreur de cet univers, c’est la prise de conscience que l’existence de l’homme est devenue futile, qu’il n’y a plus aucun sens à sa présence sur le terre. Il ne répond plus aux exigences de l’économie nouvelle, ultra-rapide, entièrement technicisé, qui ne supporte ni la lenteur, ni les erreurs, et encore moins le caractère nuisible de l’homme.

Chaque fois qu’un être humain apparaît, c’est en soldat d’une résistance désespéré, ou comme un être corrompu bourré d’implants. Quand on lui demande où est l’espoir dans son travail, Tsutomu Nihei répond (source: Catsuka) :

Au départ je n’ai jamais pensé à l’espoir, pour moi ça n’existe pas.

snikt9Tsutomu Nihei est clairement un auteur nihiliste, qui perçoit notre avenir à l’aune de l’hystérie techno-économique caractéristique de l’époque moderne. Il interroge le monde que nous construisons : où est la place de l’être humain, au sein de la matrice bétonnée et cablée qu’il a conçu ?

Au milieu de ce post-modernisme déprimant, le caractère taciturne et téméraire de Wolverine s’intègre parfaitement. Il incarne une espérance, un dynamisme que ces gens du futur ont perdu, ainsi qu’un certain pragmatisme. C’est lui qui fait entrer dans l’action la tribu de survivants qui l’ont appelé, dont la moitié ne sont plus que des loques zombifiées. Sa sauvagerie fait merveille face à un ennemi surpuissant: ça fait plaisir de voir un Wolverine déchaîné affronter seul une armée de mutants sans pitié.

Snikt! se révèle une excellente porte d’entrée dans l’univers obscur de Tsutomu Nihei, tant en terme de narration (ici plus accessible que dans Blame!) que de la chronologie (puisqu’on est au début du chaos). C’est l’œuvre la moins hermétique de Tsutomu Nihei, et avant tout un genre de crossover commercial. Mais le plan final vient nous rappeler que ce que nous dit Nihei, même à travers le divertissement d’un comics, nous concerne directement. La silhouette de Wolverine, de retour à son époque, est écrasée par les buildings de New York, évoquant l’inexorable digestion de la fiction par le réel.

Au moment où des scientifiques nous avertissent de la mauvaise influence de la ville sur le cerveau humain, le prophétisme de Nihei laisse un arrière goût de malaise.

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